Rm 8,26-7; Mt 13,1-11;18-23

Prédication sur Romains 8,26-7 et Matthieu 13,1-11; 18-23

Le geste auguste du semeur

« Le geste auguste du semeur »… C’est ainsi que Victor Hugo clos ce magnifique tableau qui esquisse le portrait du semeur ! Tout l’art de ce métier tient dans ce geste à la volée, dans ce mouvement ample, précis et répété qui lui permet de répandre, au près et au loin, cette semence, promesse de moisson.

Peu importe que les sillons soient là, au préalable, comme nous avons l’habitude de le faire aujourd’hui, dans notre monde occidental. Ou que la terre soit labourée après coup, pour enterrer les graines une fois qu’elles sont déjà au sol, selon les techniques agricoles de la Palestine. Le geste auguste assure que les graines tombent partout autour de lui et à la bonne distance les unes des autres.

Partout ! Mais partout, où ?

Lorsque dans nos cultures le semeur se promène (aujourd’hui, souvent en tracteur ; mais encore à pied au temps de van Gogh – inlassable peintre de la vie de tous les jours, tout comme Jésus-Christ -), son espace est délimité, soigneusement préparé, labouré en profondeur pour assurer le meilleur rendement possible (souvent bien connu à l’avance). Dans notre culture occidentale, nous voulons un retour rentable à notre investissement. Les graines sont triées, comptées, génétiquement modifiées pour résister aux maladies (le Malin de Mathieu) et le terrain est décailloutté, azoté, enrichi en engrais, arrosé, dépouillé de toute autre plainte qui puisse entraver la croissance de nos précieuses graines.

En Palestine, à l’époque, on préfère semer large. Les chemins qu’on emprunte pour se déplacer d’un terrain à l’autre sont provisoires. Une fois passés avec la charrue, momentanément, ils ne seront plus là. Dès lors, la terre est tantôt fertile, tantôt plus hostile. La promesse d’une grande moisson partout n’est pas là, mais l’espérance que des fruits puissent voir le jour, peut-être oui.

Des fleuves d’encre, une cascade de mots ont été versés à propos de la parabole du Semeur. Beaucoup a été écrit et dit. D’autant plus que le premier à se livrer à cette exercice, c’est Matthieu même, l’évangéliste. Pas besoin alors de nous demander le sens de ce passage, qui utilise la vie quotidienne pour illustrer l’effet que la Parole du Christ à propos du Royaume a sur ses contemporains.

Mais les choses ne sont pas si simples.

La tentation de tomber dans une interprétation moralisatrice, qui donnerait par ailleurs main forte à notre actuelle approche de l’économie et de la société est là : travail minimum pour rendement maximum. Définir la bonne cible pour l’atteindre. Et inutile de perdre du temps, là où le résultat n’est pas garanti. Garanti et à court terme, s’il vous plaît. Ou alors former et éduquer à être alignés-couverts, de bons terrains, quoi !

Pourtant, Matthieu ne dit pas ça ! D’abord parce que ce n’est pas le rendement qui l’intéresse… Faut-il rappeler qu’il n’a aucun jugement de valeurs quant aux graines qui donnent 100, 60 ou 30 ? Et que ces valeurs sont de plus indiquées en ordre décroissant ? Ensuite, c’est important de ne pas perdre de vue le contexte historique. Ici, il n’est pas question d’accuser ses contemporains et de les rendre ainsi responsables de leur imperméabilité à la vraie Vie, celle en compagnie de Jésus Christ, expression du Royaume sur terre et promesse du Royaume pour toutes et tous. Les responsables sont des agents extérieurs… Le premier ne comprend pas la Parole à cause du Mal. Pour le dire avec Pierre Bonnard : « l’accent ne porte ni sur le tort de cet homme, qui aurait dû recevoir la Parole ailleurs que sur le chemin (Matthieu dit bien qu’il l’a reçue dans son cœur !), ni sur la maladresse du semeur, mais sur l’intervention démoniaque du Malin. Pour le deuxième c’est la durée qui fait défaut. Il ne faut pas oublier que nous sommes en pleine période de persécutions… Domitien sévit et celui qui n’a pas eu le temps d’enraciner sa foi et le message du Christ abdique pour survivre. Pour le troisième, les responsables sont les tentations de la vie, de la société, de l’économie.

Nous le voyons bien. Les responsables de ces échecs répétés sont les mêmes encore aujourd’hui.

« Le mal est, et personne ne peut dire le contraire », dit Antoine Nouis. Qu’on l’appelle violence, meurtres – prémédité ou pas, comme pour les 17 soldats israéliens tués par erreur par l’armée américaine, avant-hier –, injustice, tyrannie, guerre, sécheresse, cancer ou accident, le mal est. Et il nous guette sans cesse.

Les persécutions sont là. Il suffit de penser aux chrétiens coptes ou à un certain islam intégriste !

Et les tentations, pas besoin de faire un dessin.

Il reste encore le quatrième… « Celui qui a été ensemencé dans la bonne terre ». Et Matthieu continue en disant que « c’est celui qui entend la Parole et comprend » – j’aime l’idée de redonner à ce dernier mot son sens premier : prendre avec… et partager. Ce dernier n’a pas forcement des qualités qui manquent aux autres, mais il « entend et il comprend ». A Birger Gerhardsson d’ajouter : et il fait, c’est-à-dire il produit des fruits.

Alors quoi ? Sommes-nous tous prédestinés ? Il y en aurait qui ne pourraient jamais faire front contre le Mal. Il y en aurait qui préféreraient toujours changer d’avis, pourvu qu’ils ne souffrent pas, hic et nunc, ici et maintenant. Il y en aurait enfin que le bling-bling de notre société les attirerait leur vie durant. Il y en aurait donc qui ne comprendraient jamais !

Imaginer cela équivaut à perdre toute espérance et ne pas voir le résultat que la Parole, semée à tout va par Jésus-Christ et nous toutes et tous qui avons entendu, compris et partagé, a autour de nous, à plus ou moins grande échelle. Imaginer cela équivaut à nier l’œuvre de cet Esprit qui travaille en nous et pour nous en lien avec Dieu. Un travail de fond, dans les profondeurs de notre terreau, et qui nous donne, à toutes et tous, ce goût tellement unique pourtant en évolution continuelle.

Quelques jours avant sa mort, à l’automne 2011, Steve Jobs, co-fondateur d’Apple, atteint d’une forme rare de cancer pancréatique, disait :

« J’ai atteint le sommet du succès dans les affaires. Aux yeux des autres, ma vie a été le symbole du succès. Toutefois, en dehors du travail, j’ai eu peu de joie. Enfin, ma richesse n’était rien de plus qu’un fait dans lequel je me suis habitué. En ce moment, allongé sur le lit d’hôpital et me rappelant toute ma vie, je me rends compte que toutes les éloges et les richesses dont j’étais si fier, ont été transformées en quelque chose d’insignifiant devant la mort imminente. … C’est seulement maintenant que je comprends (…) que nous devons poursuivre d’autres objectifs qui ne sont pas liés à la richesse. Ils doivent être quelque chose de plus important : par exemple, l’amour, l’art, les rêves de notre enfance…

Dieu nous a formés de manière à sentir l’amour dans le cœur de chacun et non les illusions construites par la célébrité ou l’argent gagné. Je ne peux pas les emmener avec moi. Je ne peux emporter avec moi que les souvenirs qui ont été renforcés par l’amour. C’est la vraie richesse qui vous suivra; qui vous accompagnera et vous donnera la force et la lumière pour aller de l’avant. L’amour peut voyager à des milliers de kilomètres et c’est ainsi. La vie n’a pas de limites…

Faites un trésor de l’amour pour votre famille, de l’amour pour votre mari ou femme, de l’amour pour vos amis. Chérissez l’amour, partagez et donnez au suivant… Que chacun agisse avec amour et occupez-vous de votre prochain. »

En ce qui concerne Steve Jobs, nous ne pouvons pas vraiment dire que la graine était tombée sur le quatrième terrain… Pourtant, l’ensemencement de Jésus-Christ –  à la palestinienne, fondé sur une Parole distribuée à la volée, dans un geste auguste –, un ensemencement fondé sur la foi et l’espérance, cette espérance qui nous permet de voir au-delà de la réalité visible, a un jour porté ses fruits.

Il nous arrive, même en tant que chrétiens, de traverser des hivers… La seule réponse à apporter est l’enracinement dans l’espérance.

Paul, quelques versets avant ceux que nous avons lus ce matin, affirme que « l’espérance concerne ce qu’on ne voit pas, il l’inscrit dans le registre du combat de la foi, combat que nous devons mener par la prière. Et si nous ne savons pas que dire, persévérons, l’Esprit intercède pour nous ». Et compter sur l’Esprit ne signifie pas renonciation ou passivité. Il s’agit de se mettre en mouvement en sachant que Dieu nous fait confiance et maintient, à moult moments, sa promesse de nous confronter à des bribes de Royaume. C’est savoir qu’il nous accompagne par son Souffle, en dépit des échecs. C’est nous sentir portés, en été comme en hiver. C’est croire que la Vie est plus forte que la mort et qu’il faut semer par des mouvements amples, car tout un chacun peut, un jour ou l’autre, porter des fruits.

Cette espérance est à garder vive, car garante de la Vie et de l’alliance de Dieu.

Un auteur inconnu raconte que « quatre bougies brûlaient lentement. L’ambiance était tellement silencieuse qu’on pouvait entendre leur conversation.

La première dit :  » Je suis la Paix !  Cependant personne n’arrive à me maintenir allumée. Je crois que je vais m’éteindre. » Sa flamme diminua rapidement, et elle s’éteignit complètement.

La deuxième dit :  » Je suis la Foi ! Dorénavant je ne suis plus indispensable, cela n’a pas de sens que je reste allumée plus longtemps. » Quand elle eut fini de parler, une brise souffla sur elle et l’éteignit.

Triste, la troisième bougie se manifesta à son tour :  » Je suis l’Amour ! Je n’ai pas de force pour rester allumée. Les personnes me laissent de côté et ne comprennent pas mon importance. Elles oublient même d’aimer ceux qui sont proches d’eux. » Et, sans plus attendre, elle s’éteignit.

Soudain… un enfant entre et voit les trois bougies éteintes.  » Pourquoi êtes-vous éteintes ? Vous deviez être allumées jusqu’à la fin » En disant cela, l’enfant commença à pleurer.

Alors, la quatrième bougie parla :  » N’aie pas peur, tant que j’ai ma flamme nous pourrons allumer les autres bougies, je suis l’Espérance !  »

Avec des yeux brillants, l’enfant prit la bougie de l’Espérance… et alluma les autres. »

Le monde est appelé à la résurrection, au Royaume, et nous toutes et tous sommes invités à en poser les signes, les semences. Comme tant d’autres l’ont fait avant nous, en étant les témoins de ce courage et de cette colère (dans le sens de la protestation) que Saint Augustin disait être enfants de l’espérance.

 

Amen

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