Jc 1,19-25; Mc 8,27-38

Culte du 30 août 2015, à l’église de Vers-chez-les-Blanc et de Vennes (paroisse La Sallaz – Les Croisettes)

Prédication sur Jc, 1,19-25 et Mc 8,27-38

Il y a une dizaine de jours, à l’occasion de la préparation des deux cultes d’aujourd’hui avec les co-célébrants, lorsque nous en sommes venus à discuter des textes choisis, une première réaction s’est faite entendre : Paolo, m’ont-ils dit ! Les propos tenus dans ces lectures sont durs…

Tu sais, Père, c’est souvent le sentiment que la plupart d’entre nous ont, au premier abord, quand nous nous frottons à ta Parole. Nous sommes là, face à elle, les trippes nouées et nous en prenons plein la figure !

Je ne sais pas si tu te rends compte de sa portée et des pièges qu’elle semble contenir, si nous ne prenons pas le temps de l’écouter, la réécouter, la mâcher, la ruminer, nous faire labourer par elle. Si nous ne sommes pas « prompt à l’écouter », comme nous l’a rappelé Jacques dans son épitre.

Jésus sortit avec ses disciples vers les villages de Césarée de Philippe. Une fois de plus Tu envois ton Fils à la rencontre des païens. Je le vois, en chemin, échanger côte à côte avec les douze. Puis, Jésus commença à leur poser des questions. Aujourd’hui, je ne souhaite pas m’entretenir avec toi sur la nature de Ton Fils, ou sur comment les autres le voyaient à l’époque. J’aimerais juste t’avouer que des fois je suis surpris de la capacité que nous avons de nous laisser aller à des envolées lyriques et à la sur interprétation… Tout simplement parce que c’est Pierre qui a répondu à la question de Jésus, certains d’entre nous en ont fait le porte-parole des disciples ! Et si, tout simplement, il était l’un de ceux qui se trouvaient le plus proches de Jésus ? Il me semble évident qu’ils n’étaient pas rangés comme une armée romaine, prête à attaquer ! Ils marchaient probablement par trois, quatre au maximum… et ils discutaient.

Ton Fils, nous avons appris à le connaître par son amour, sa bienveillance, son attention à l’autre. Et là, schlag, il traite Pierre de Satan et il lui dit qu’il ne comprend rien, qu’il réfléchit comme un homme… M’attendrais-je à une autre réaction de la part de Pierre, un homme de la mer, un pêcheur ? Ah ! Tu me demandes de relire le passage ! T’as raison, ce n’est pas tout à fait comme cela que ça s’est passé.

D’abord, c’est Pierre qui rabroue Jésus. Tu le sais, les disciples en sont encore à un Messie roi, puissant, invincible. Ils ne savent pas trop bien quoi en faire d’un Dieu qui leur dit être destiné à souffrir, être rejeté et mourir – cela soit dit en passant, 2000 ans après, pour nous aussi, ce n’est pas toujours facile de l’accepter dans sa faiblesse. Donc, Jésus ne fait rien d’autre que lui rendre la pareille et il le rabroue à son tour. On dirait que pour Jésus, le problème n’est pas que Pierre ne raisonne pas comme lui, comme un Dieu. Pour Jésus, Pierre n’a tout simplement pas à lui faire la leçon. D’autant plus que par sa nature, il ne peut pas savoir et penser comme lui, comme Toi.

Maintenant, je comprends mieux tout le passage qui suit ! Tout d’abord, Tu fais bien la distinction entre Toi et ton Fils d’une part et moi, un homme, de l’autre. D’un coup, Tu ne me demandes pas d’être comme ton Fils, tu ne me demandes pas de faire comme lui. Pas non plus de vivre sa Passion. Il ne s’agit pas de l’imiter, ni de le singer. Tu me l’offres comme un cadeau, comme tu m’as offert cette Parole vivante qui l’a engendré, qui m’a engendré. Et Tu me demandes donc d’assumer mes responsabilités pour écouter l’Evangile, en parler, le vivre.

Je ne sais pas si tu as eu l’occasion de lire La divine origine de Marie Balmary. Dans son livre, elle propose une traduction de ce passage de Marc qui me semble aller dans ton sens. « Si quelqu’un désire aller derrière moi, qu’il renonce lui-même, qu’il soulève sa croix, et qu’il m’accompagne. » Donc je n’ai pas à suivre ton Fils aveuglement, sans me poser des questions, comme un chien suit son patron, à la laisse. Tu m’incites à cheminer côte à côte avec ton Fils pour réaliser Ton Royaume sur cette terre. Tu m’invites à parcourir ce chemin pavé d’amour, de respect, d’humilité, d’attention à l’autre. Ce chemin d’humanité qui me demande d’accepter ma fragilité, d’assumer ma faiblesse et d’inscrire la mortalité dans mon identité. La conscience et l’acceptation que, moi aussi, je peux souffrir et mourir, constituent alors ma croix. Une croix qui devient libératrice car le Christ est ressuscité, et avec lui la promesse de la vraie Vie. Je ne suis pas appelé à souffrir, mais à regarder la souffrance avec les yeux de celui qui la comprend, car je pourrais la vivre, en pâtir. Je n’ai pas à partager la souffrance et la mort du Christ, ou de mes frères et sœurs en humanité. Je suis invité à les reconnaître, à savoir qu’elles sont constitutives de mon existence et à ne pas en avoir peur. Parce qu’en les fuyant, je fuis la Vie. Si je tourne les yeux face à la souffrance, au manque, au creux. Si je ne cultive que le rêve de richesse et de puissance dans ce monde, en me comblant dans l’accumulation, en n’ayant plus de place pour autre chose, en m’éloignant de Toi et des autres, je mourrai, je perdrai ma vie. Car je suis convaincu qu’un homme n’existe qu’à travers le regard des autres. L’homme est relation. Et si je n’ai plus de place pour les autres, ils n’existeront plus. Et s’ils n’existent plus pour moi, je n’existerai plus pour eux. A quoi serviront donc toutes mes richesses ? Pourront-elles me permettre d’acheter, de racheter, des liens et des relations ? Pourront-elles me permettre de mieux écouter, donc entendre, ta Parole et d’en devenir autre chose qu’un simple auditeur ?

Quand je me gorge de choses, lorsque je me goinfre, en avalant les personnes qui m’entourent comme si elles n’étaient que des pièces sur un échiquier, en entrant dans une dynamique de violence, de saleté, de malfaisance, je n’ai plus de place pour cette Parole. J’en viens à oublier qu’elle est à accueillir avec douceur, sous peine de me laisser envahir par la colère et ne plus être capable de l’entendre et de la redire avec intelligence.

De cette Parole que tu as plantée en nous et qui peut nous sauver, il faut donc que j’en fasse quelque chose de concret…

Père, ce que je comprends c’est qu’une Parole – la tienne, mais aussi toute autre – n’existe pas si elle n’est pas en lien à l’action. Si je ne veux pas que cette Parole reste un discours mensonger, je me dois d’être poète, faiseur, créateur de la Parole. Elle m’a mis au monde. Maintenant elle me demande de la faire vivre, pour que je sois vivant et pour que je fasse vivre les autres, chaque jour. Et la faire vivre c’est me rappeler qu’elle est vraie liberté et vérité seulement si je suis capable de continuer à la rendre vivante, à la dynamiser par la pratique, par ma pratique. Dans ma relation aux autres. Alors Parole et action deviennent indissociables et me permettent de devenir lien, relation, amour, partage. Elles me permettent, en faisant œuvre, d’être œuvre, Ton œuvre.

Amen

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